Fondation Un Coeur

Valérie Chetboula, Jonathan Bouvardb et Nicolas Borensteinc

a Professeur de Cardiologie, Agrégée de Pathologie Médicale, Dipl. ECVIM-CA (Cardiology). Unité de Cardiologie d’Alfort, CHUVA et UMR INSERM-ENVA U955. Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, 7 avenue du général de Gaulle, 94704 Maisons-Alfort cedex, France.

bDVM, Dipl. internat en clinique des animaux de compagnie. Unité de Cardiologie d’Alfort, CHUVA, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, 7 avenue du général de Gaulle, 94704 Maisons-Alfort cedex, France.c DVM, PhD. IMM Recherche, 42 boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.
 

 

La cardiologie vétérinaire est une discipline ayant bénéficié des avancées récentes de la cardiologie humaine et de ses propres recherches. Ceci est particulièrement vrai concernant le diagnostic des cardiopathies avec le développement de l’échocardiographie, de l’électrocardiographie et du Holter. Le traitement médical a de même fait de nombreux progrès, avec la preuve de l’efficacité de plusieurs classes de médicaments comme les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les inodilatateurs ou les diurétiques de dernière génération, permettant d’améliorer la qualité de vie et de prolonger la durée de vie des animaux cardiaques.

Certaines affections cardiaques animales peuvent aussi bénéficier d’un geste chirurgical curatif. Néanmoins, ceci reste limité à des interventions extra-cardiaques (sans ouvrir le cœur) réalisées au sein de cliniques vétérinaires : ligature du canal artériel, exérèse de tumeurs  de la base du cœur ou encore du péricarde (péricardectomie). S’y ajoute la possibilité de pose de pacemaker dont le but est de traiter des animaux atteints d’arythmies graves. Il n’existe pas de pacemaker spécifiquement conçu pour les chiens. Toutefois, des pacemakers humains sont adaptables aux animaux (Figure 1).

Depuis ces dernières années, d’autres corrections chirurgicales plus complexes, car « intra-cardiaques », sont accessibles aux carnivores domestiques. Elles sont réservées à des centres universitaires ou à des centres de recherche disposant d’un plateau technique important, doté d’équipements de haute technicité, permettant deux approches chirurgicales : l’une par voie endovasculaire (chirurgie dite « interventionnelle » pratiquée sans ouvrir le cœur) et l’autre à cœur ouvert nécessitant la mise en place d’une circulation extracorporelle (CEC).

Le partenariat entre l’Unité de Cardiologie d’Alfort (UCA) et des chirurgiens cardiaques de  l’IMM recherche (UCA-IMMR), créé il y a maintenant plus de 20 ans à l’initiative des professeurs J-L Pouchelon, V Chetboul et F Laborde, a permis d’opérer et de sauver des animaux souffrant de diverses cardiopathies, le plus souvent congénitales, par l’une ou l’autre de ces deux approches.

Interventions endovasculaires les plus courantes chez l’animal

  • Généralités : le cathétérisme interventionnel a été reconnu comme une technique novatrice et utile suite aux travaux du physiologiste français André Cournan dont les recherches à ce sujet lui ont valu l’attribution du prix Nobel de médecine en 1956. Cette technique consiste, sous contrôle d’un amplificateur de brillance, en l’introduction d’un cathéter dans une veine ou une artère  pour accéder au cœur. Le matériel étant introduit dans les vaisseaux à travers la peau, on parle aussi de procédures endoluminales ou percutanées. Ces procédures endovasculaires permet ainsi, de nos jours, d’éviter certaines interventions chirurgicales à cœur ouvert, notamment lors de sténose pulmonaire (rétrécissement de l’artère pulmonaire) et, plus récemment, de persistance du canal artériel chez les carnivores domestiques.

 

  • La persistance du canal artériel : la persistance du canal artériel est une des cardiopathies congénitales les plus courantes du chien. Le canal artériel, présent chez le fœtus, se ferme dans les 72 premières heures de la vie. La persistance du canal artériel est une malformation congénitale caractérisée par l’absence de fermeture de ce canal, entrainant ainsi un mélange de sang entre l’aorte et l’artère pulmonaire aux effets souvent délétères (40% de survie à 1 an sans correction chirurgicale [1]). La fermeture du canal artériel est classiquement réalisée par thoracotomie (ouverture du thorax) et ligature du canal après sa dissection. Néanmoins, une technique novatrice, réalisée par voie endovasculaire, peut être à présent proposée : elle consiste à introduire au travers d’un cathéter un petit dispositif appelé ACDO [2] (Amplatz® canine duct occluder) ayant pour but d’occlure la lumière du canal (Figures 2 à 5).
    Figure2-chir-cardioFigure3-chir-cardio
  • Figure4-chir-cardioFigure5-chir-cardio                                                                                                                                                           

    La procédure est contrôlée par angiographie et échocardiographie transœsophagienne (Figures 6 et 7).

Figure6-chir-cardio Figure7-chir-cardio

Ces dispositifs endovasculaires spécifiquement conçus pour le chien ont vu le jour à la fin des années 2000 et présentent l’avantage d’être spécifiquement adaptés à la forme et à la taille des  canaux artériels dans cette espèce. Le risque d’embolisation est donc particulièrement réduit. Cette technique présente, par ailleurs, de très bons résultats avec de nombreux avantages : temps opératoire court limitant les risques anesthésiques, absence de dissection du canal réduisant ainsi les risques hémorragiques, et absence d’ouverture du thorax permettant une hospitalisation post-opératoire de courte durée). Cette technique endovasculaire a permis aux équipes UCA-IMMR depuis 2008 de traiter avec succès plusieurs dizaines de chiens souffrant de cette malformation.

 

  • Figure8-chir-cardioLa sténose pulmonaire: De même, la dilatation par ballonnet (ou angioplastie pulmonaire percutanée) est la technique de choix pour corriger – sans ouvrir le cœur – une autre malformation congénitale très fréquente du chien, la sténose pulmonaire, représentant jusqu’à 32% des cardiopathies congénitales dans cette espèce [3], les Bouledogues français et anglais étant les races les plus prédisposées. La technique consiste à faire cheminer, par des cathéters introduits préalablement dans une veine, un ballonnet jusqu’au lieu de l’obstacle artériel. Le ballonnet est ensuite gonflé, souvent à plusieurs reprises, pour dilater l’obstacle et agrandir ainsi la voie de passage du sang (Figure 8). Le premier cas « humain » a été réalisé en 1982 [4] (après avoir été testé chez un Bouledogue Anglais en 1980) et en 2009, la première correction d’une sténose pulmonaire chez un grand félin (une panthère des neiges) utilisant cette technique a été réussie par les équipes UCA-IMMR [5].

Cependant, selon la complexité de la malformation de l’artère pulmonaire, certaines sténoses peuvent ne pas répondre à la dilatation par ballonnet. Dans ce cas, une angioplastie par implantation de stent peut s’avérer nécessaire.

Ces interventions chirurgicales interventionnelles, permettant d’accéder au cœur sans ouvrir le thorax, ont l’avantage d’être peu invasives par comparaison aux chirurgies à cœur ouvert avec amélioration fonctionnelle et augmentation de l’espérance de vie des animaux opérés. Cependant, ces techniques restent limitées aux cas évoqués ci-dessus (persistance du canal artériel et sténose pulmonaire) et mériteraient d’être développées pour d’autres affections cardiaques congénitales ou acquises, restant à l’heure actuelle incurables chez l’animal. La recherche ayant pour but de développer de nouveaux dispositifs endovasculaires offre ainsi de réelles perspectives d’avenir en chirurgie cardiaque vétérinaire.

Interventions à cœur ouvert – problématique

Certaines affections cardiaques imposent d’ouvrir le cœur pour être corrigées. Ceci nécessite le recours à la CEC dont le principe est de détourner le sang hors du cœur pendant le temps nécessaire à la réalisation des gestes chirurgicaux.

L’avènement de la CEC a révolutionné la chirurgie cardiaque chez l’homme dans les années 60 : d’une chirurgie très risquée, réalisée en aveugle (par palpation) et avec une fenêtre de temps d’intervention très courte, dans des conditions d’hypothermie mal contrôlés, elle est devenue une discipline de reconstruction, de réparation ou de remplacement, très codifiée, avec des gestes complexes, parfois très longs.

Grâce à la motivation de quelques chirurgiens vétérinaires d’universités Nord-américaines, véritables pionniers de cette discipline, la chirurgie cardiaque vétérinaire a bénéficié de l’usage de la CEC à partir des années 1970 [6].

Figure9-chir-cardio

Le montage de la CEC (remplaçant à la fois le cœur et les poumons du malade) nécessite la mise en place de canules au niveau des veines caves ou de l’atrium droit (canule atrio-cave). Ces canules permettent d’extraire le sang « non oygéné », qui est ensuite conduit via un circuit hépariné, vers un oxygénateur (jouant le rôle de poumon), puis vers une pompe (jouant le rôle du cœur). Le sang alors oxygéné est ensuite ré-injecté via une canule mise en place dans l’aorte ascendante (Figure 9).

Le circuit de CEC nécessite un réglage précis par un spécialiste appelé perfusionniste ou pompiste. Très peu de publications vétérinaires font état d’une expérience en chirurgie sous CEC en raison du plateau technique et du personnel nécessaire.

Toutefois, grâce aux équipes UCA-IMMR, plusieurs animaux ont pu bénéficier d’une chirurgie cardiaque à cœur ouvert sous CEC en France. Ces équipes ont de surcroit innové en évitant, comme classiquement réalisé chez l’homme, le recours à la cardioplégie (arrêt du cœur) pendant l’intervention. La première correction à cœur ouvert et cœur battant d’une malformation de la valve mitrale a ainsi été réalisée, avec succès, en 2002 chez un Cairn Terrier de 1 an (Figure 10).

Figure10-chir-cardioElle a été suivie en 2005 de la pose de la première valve bioprothétique chez un Bull Terrier de 1 an [7,8]. Enfin, plus récemment, (2010) la correction à cœur ouvert – cœur battant d’une malformation cardiaque congénitale grave chez un chat (Cor Triatratum Sinister) a été réalisée par les mêmes équipes[9].

Malgré ces avancées remarquables, de nombreux progrès restent à réaliser, notamment concernant le prise en charge chirurgicale de la cardiopathie la plus fréquente du chien, la maladie valvulaire dégénérative mitrale. Cette cardiopathie affecte préférentiellement les chiens de petit format, le Cavalier King Charles étant particulièrement prédisposé [9].Elle est à l’origine de décès par insuffisance cardiaque congestive (œdème pulmonaire) dans 25 à 40% des cas selon les races [10,11] malgré la mise en place d’un traitement médical. La réparation partielle sous CEC de la valve atteinte (valvuloplastie) permet de limiter les conséquences de la maladie [12]. Néanmoins, la solution optimale semble être le remplacement valvulaire complet grâce à la pose de prothèses adaptées au petit format et à la physiologie de ces chiens malades. Ceci reste l’objet de recherche en cours pour les années à venir…


Bibliographie

[1] Eyster GE, Eyster JT, Cords GB, Johnston J. Patent ductus arteriosus in the dog : charactéristics of occurrence and results of surgery in one hundred consecutive cases. J Am Vet Med Assoc 1976;168:435-438.

[2] Amplatz® Canine Duct Occluder, Infinity Medical, LLC™, West Hollywood, CA.

[3] Oliveira P, Domenech O, Silva J, Vannini S, Bussadori R, Bussadori C. Restrospective review of congenital heart disease in 976 dogs. J Vet Intern Med 2011;25:477-483.

[4] Buchanan JW, Anderson JH, White RI. The 1st balloon valvuloplasty : an historical note. J Vet Intern Med2002;16:116-117

[5] Chai N, Behr L, Chetboul V, Pouchelon JL, Wedlarski R, Tréhiou-Sechi E, Gouni V, Misbach C, Petit AM, Bourgeois A, Hazan T, Borenstein N.Successful treatment of a congenital pulmonic valvular stenosis in a snow leopard (Uncia uncia) by percutaneous balloon valvuloplasty. J Zoo Wildl Med 2010;41:735-738.

[6] Breznock EM, Vasko JS, Hilwig RW, Bell RL,Hamlin RL. Surgical correction, using hypothermia, of interventricular septal defect in the dog. J Am Vet Med Assoc 1971;158:1391-1400.

[7] Borenstein N, Daniel P, Behr L, Pouchelon JL, Carbognani D, Pierrel A, Macabet V, Lacheze A, Jamin G, Carlos C, Chetboul V, Laborde F.Successful surgical treatment of mitral valve stenosis in a dog. Vet Surg 2004;33:138-145.

[8] Behr L, Chetboul V, Carlos Sampedrano C, Vassiliki G, Pouchelon JL, Laborde F, Borenstein N. Beating heart mitral valve replacement with a bovine pericardial bioporthesis for treatment of mitral valve dysplasia in a Bull Terrier. Vet Surg 2007;36:190-198.

[9] Borenstein N, Gouni V, Behr L, Trehiou-Sechi E, Petit A, Misbach C, Raillard M, Pierrel A, Retortillo JL, Pouchelon JL, Laborde F, Chetboul V.Successful surgical treatment of cor triatriatum sinister in a cat under cardiopulmonary bypass.Vet Surg, sous presse.

[10] Chetboul V, Tissier R, Villaret F, Nicolle A, Déan E, Benalloul T, Pouchelon JL. Caractéristiques épidémiologiques, cliniques, écho-Doppler de l’endocardiose mitral chez le Cavalier King Charles en France : étude rétroscpective de 451 cas (1995 à 2003). Can Vet J 2004;45:1012-1015.

[11] Serfass P, Chetboul V, Carlos Sampedrano C, Nicole A, Benalloul T, Laforge H, Gau C, Hébert C, Pouchelon JL, Tissier R. Retrospective study of 942 small-sized dogs : Prevalence of left apical systolic heart murmur and left-sided heart failure, critical effects of breed and sex. J Vet Cardiol 2006;8:11-18.

[12] Uechi M. Mitral valve repair in dogs. J Vet Cardiol 2012;14:185-192.


Figure 1 : Mise en place d’un pacemaker chez un chien de petit format atteint d’une arythmie grave à l’origine de syncopes (plusieurs par jour). Le pacemaker, relié au cœur par une électrode, va quelques minutes plus tard être placé dans l’abdomen. Il a permis d’enrayer l’arythmie, faisant ainsi totalement disparaître les symptômes, ce pendant plusieurs années.Crédit photo : Pr. Valérie Chetboul (UCA).

 

Figure 2 : Schéma illustrant la pose d’un ACDO par voie endovasculaire chez un chien atteint de persistance du canal artériel. Crédit figure : Infiniti Medical.

A)   L’ACDO est attaché au cathéter et mis en place dans le canal artériel ;

B)    Le cathéter est ensuite retiré le long de l’aorte jusqu’à l’artère fémorale.

Ao : Aorte – TP : Tronc pulmonaire – CA : Canal artériel

 

Figure 3 : ACDO (Amplatz® canine duct occluder ; Infiniti Medical®) : dispositif formé de deux disques et ayant une forme de diabolo adapté à la forme des canaux artériels de chien.Crédit photo : Dr. Nicolas Borenstein (IMMR).

 

Figure 4 : Dissection de l’artère fémorale d’un chien en vue de la pose d’un ACDO.Crédit photo : Pr. Valérie Chetboul (UCA).

Figure 5 : Voie d’abord de l’artère fémorale et pose d’un cathéter guide en vue de l’occlusion d’un canal artériel par voie endovasculaire. Crédit photo : Dr. Cécile Damoiseaux (UCA).

 

Figure 6 : Images angiographiques montrant le déploiement d’un ACDO (flèche jaune) dans le canal artériel d’un chien sous contrôle échographique transœsophagien (*). Le cathéter guide introduit dans l’artère fémorale remonte l’aorte jusqu’au canal artériel (6A) où l’ACDO y est déployé (6B. Crédit photo : IMMR.

Figure 7 : Suivi per-opératoire d’une pose d’ACDO par échographie transœsophagienne.Crédit photo : Dr. Cécile Damoiseaux (UCA).

Figure 8 : Dilatation par ballonet d’une sténose pulmonaire sous contrôle échographique transœsophagien (*). L’injection de produit de contraste dans le ballon permet d’écraser l’obstacle situé dans l’artère pulmonaire. Noter la forme caractéristique du ballon en sablier (flèche bleue, 8A) avant la levée de l’obstacle (8B). Cette forme disparaît apres levée de l’obstacle (photo de droite).Crédit photo : IMMR.

 

Figure 9 : Principe de la circulation extra-corporelle.Crédit Figure : Dr. Nicolas Borenstein.

Figure 10 : Rébus, atteint d’une malformation grave de la valve mitrale, est le premier chien à avoir été opéré à cœur ouvert – cœur battant (équipes UCA-IMMR). Crédit Photo : Pr. Valérie Chetboul (UCA).