Fondation Un Coeur

Quand les Cavaliers ont mal au cœur – Rétrospective sur la maladie valvulaire dégénérative mitrale chez le Cavalier King Charles

 

Le Cavalier King Charles (CKC) est bien connu pour être une race prédisposée à une maladie cardiaque : la maladie valvulaire dégénérative mitrale. Cette maladie est caractérisée par un vieillissement précoce de la valve mitrale (une des quatre valves du cœur) à l’origine de sa déformation, empêchant ainsi sa fermeture hermétique. A cause de cela, le cœur se déforme et ne devient à terme plus capable de travailler correctement. Du sang reflue vers les poumons, pouvant causer de l’œdème pulmonaire et même de l’épanchement pleural. On dit dans ce cas que la maladie est décompensée. Voici l’interview de Laure Ménager qui nous explique le combat mené contre cette maladie depuis maintenant plus de 20 ans.

  • Laure Ménager : Qui êtes-vous et depuis combien de temps travailler vous avec les CKC ?

Je suis propriétaire de Cavalier King Charles depuis 2000 et j’ai été éleveuse dans cette race. J’étais la présidente de l’association French Cavalier King Charles (FCKC), qui a travaillé sur la sensibilisation des professionnels et des propriétaires dans le milieu du Cavalier King Charles vis-à-vis de la maladie valvulaire dégénérative mitrale. L’association est aujourd’hui dissoute mais je continue de mon côté à rester vigilante vis-à-vis des personnes qui auraient besoin de conseils.

L’association n’était au départ qu’un fil de discussion privé sur internet, créé en 1997. Elle a réellement vu le jour en 2002, sous la présidence d’Isabelle Barthes. Moi, j’ai rejoint ce fil de discussion en 2000, quand j’ai adopté ma chienne Cavalier. J’étais très inquiète qu’elle soit malade donc je l’ai emmenée à ses 18 mois voir un vétérinaire spécialisé en cardiologie, le Professeur Valérie Chetboul, pour une échographie cardiaque. Dès ses 18 mois, elle présentait un stade 1 de la maladie.

 

Figure 1 Deux Cavaliers King Charles issus de l’élevage de Mme Ménager. Crédits photos L. Ménager

 

  • Qu’est-ce qui vous a décidé à mettre en place des mesures de gestion ?

Le fil de discussion FCKC permettait aux personnes qui le souhaitaient d’échanger au sujet de la maladie. Tous les témoignages nous ont permis de nous rendre compte que de nombreux Cavaliers mourraient très jeunes à cause de cela. A l’époque, il était peu courant qu’un Cavalier vive plus de 7 ans. On disait que les années supplémentaires étaient du bonus. Un témoignage m’a particulièrement marqué : celui d’un Cavalier décédé à 18 mois de sa maladie cardiaque. Il avait été offert par un garçon à sa sœur handicapée. Ce sont tous les témoignages comme cela et la détresse des gens qui voyaient leur animal souffrir qui nous ont décidés à agir pour lutter contre la maladie.

  • Quelles étaient les actions de FCKC ?

Nous faisions surtout de la transmission d’informations. Nous relayions des témoignages pour sensibiliser les propriétaires et éleveurs de CKC à la gravité de la maladie. Nous aidions aussi beaucoup les personnes dont le chien était malade et qui étaient un peu démunies. Au début des années 2000, des traitements médicamenteux étaient prescrits sur des chiens dès l’auscultation d’un souffle cardiaque, sans faire d’échocardiographie au préalable. Nous incitions donc les propriétaires à aller voir un vétérinaire cardiologue pour un examen cardiaque complet avant de se lancer dans un traitement potentiellement inadapté. Nous essayions donc d’avoir une liste de spécialistes chez qui diriger les propriétaires, dans toute la France.

Nous faisions aussi de la prévention, en donnant aux propriétaires des outils pour détecter précocement des signes de la maladie. Prendre la mesure de la fréquence cardiaque et de la fréquence respiratoire du chien régulièrement est un bon outil pour surveiller une hausse de ces fréquences, pouvant signaler un avancement de la maladie. C’est comme cela que j’ai détecté le moment où ma chienne a commencé à décompenser de sa maladie : d’une fréquence cardiaque de 60 à 90 battements par minute, elle est passé à 80-100 battements par minute. Ce n’est pas une différence énorme mais c’était assez pour m’alerter.

  • Depuis quand y a-t-il des efforts pour mieux gérer cette maladie ?

Au début de FCKC, il n’y avait aucune mesure spéciale pour essayer de juguler la maladie. Notre premier combat était de demander le dépistage des reproducteurs avec une échocardiographie pour pouvoir sélectionner les moins malades. En effet, la MVDM a une part de génétique dans son développement. On a donc fait beaucoup de bruit pour inciter le club de race à faire quelque chose. Les particuliers nous soutenaient parce qu’ils voyaient bien que les chiens malades souffraient et qu’il fallait agir.

Le club a commencé par mettre en place des dépistages volontaires par échocardiographie en 2002. Une grille de scoring avec 5 stades a été créée et les résultats étaient enregistrés par le club de race. Ces dépistages sont devenus obligatoires pour accéder à certaines cotations sur les reproducteurs (les cotations garantissent une certaine qualité du reproducteur et permettre de fixer les prix des saillies, ndlr). Aujourd’hui, à partir de la cotation 3, il faut donc fournir une échocardiographie de moins de 18 mois au club de race.

  • Est-ce que les éleveurs ont joué le jeu ?

Globalement oui. Il y a toujours des personnes qui ne voudront pas aller au bout des choses mais beaucoup se sont mis à tester leurs chiens.

  • Aujourd’hui, où en est-on ?

Grâce à la démocratisation du dépistage, on a vu dès 2007-2008 que la situation commençait à s’améliorer. Aujourd’hui, les chiens sont moins malades. On n’entend plus d’histoire de chien décédé aussi jeune que 18 mois et les chiens vivent assez facilement jusqu’à 10 ans. Toutefois, je ne suis pas encore satisfaite car je pense que le dépistage devrait être obligatoire chez tous les reproducteurs de la race, ce qui n’est pas encore le cas.

Par ailleurs, certains dépistages réalisés sont incomplets. En effet, il arrive que le club de race organise des réunions amicales regroupant des éleveurs de Cavaliers et y convie un cardiologue pour faire des échographies, ce qui est une bonne initiative. Cependant, le cardiologue n’a pas le temps de faire un examen complet au cours de ces rencontres, donc le dépistage repose sur l’unique analyse de la valve cardiaque (au lieu de faire tout le tour du cœur du chien). Ceci peut se révéler insuffisant dans certains cas, car même si la valve va bien, le chien peut avoir d’autres problèmes.

Enfin, je trouve qu’il y a encore un manque d’information auprès de propriétaires, avec une explication claire de ce qu’est la maladie et de ce qu’impliquent les différents stades de sévérité. En plus de cela, il existe plusieurs grilles de classification entre les stades décrits par le club de race et ceux utilisés par les cardiologues sur la base des échocardiographies. Il existe aussi des stades pour parler de la force des souffles cardiaques, donc il devient facile de s’y perdre.

Il faut aussi comprendre que le stade de sévérité n’est pas définitif : en général, les lésions et donc le stade augmente avec l’âge. Mais le stade évolue aussi selon si le chien décompense de la maladie et a de l’œdème pulmonaire ou pas ! Ma chienne est donc montée au stade 3 échographique de maladie car elle a eu de l’œdème pulmonaire, mais comme beaucoup de chiens avec une MVDM, elle a bien répondu au traitement et est redescendue en stade.

  • Quels sont vos liens avec la Fondation Un Cœur ?

La Fondation Un Cœur est une fondation créée avec l’aide du Professeur Valérie Chetboul, de qui je suis restée proche et qui m’a donné des données scientifiques et du soutien pour notre combat. Aux débuts de FCKC, elle l’a aidée à se faire connaître en utilisant ses réseaux. De son côté, FCKC a fait plusieurs fois des dons à la Fondation Un Cœur et oriente vers elle les propriétaires de Cavaliers qui ont besoin d’aide pour financer les soins de leur chien.

 

Figure 2 Crédits photo L. Ménager