Fondation Un Coeur

Les particularités du cœur des tortues 

La Fondation Un Cœur soutient le diagnostic et le traitement des affections cardiaques chez les animaux, quelle qu’en soit l’espèce ! Parlons aujourd’hui des particularités du cœur des tortues !

Le docteur Lionel Schilliger est vétérinaire spécialisé dans le soin des reptiles. Il est diplômé de l’ECZM (Herpetology) et de l’ABVP (Reptile and Amphibian Practice). Aujourd’hui, il nous parle des particularités du cœur des tortues.

 

  • Comment fonctionne le cœur d’une tortue ?

Le cœur d’une tortue diffère de celui d’un humain ou d’un carnivore domestique car il ne comporte qu’un unique ventricule au lieu de deux, bien qu’il possède deux atria (anciennement « oreillettes »), comme chez tous les autres reptiles non-crocodiliens. Autre particularité intéressante, il émane de ce cœur trois troncs artériels : le tronc pulmonaire et deux aortes. Ces deux dernières fusionnent caudalement pour former une aorte commune. Il est à noter que les reptiles sont les seules créatures du règne animal à posséder cette triade d’artères efférentes. Cette particularité anatomique les rend uniques !

Figure 1 Vue ventrale du cœur d’une tortue d’Hermann occidentale (Testudo hermanni hermanni). V : Ventricule ; AG : Atrium Gauche ; AD : Atrium Droit ; AP : Artète Pulmonaire ; AoD : Arc Aortique D ; AoG : Arc Aortique G. – Photo L. Schilliger

Il faut aussi savoir que, chez tous les reptiles, le fonctionnement cardiaque (fréquence cardiaque, contractilité, etc.) est entièrement dépendant de la température ambiante car ce sont des animaux dits ectothermes (c’est-à-dire qu’ils ne produisent pas leur chaleur interne eux-mêmes mais dépendent des sources de chaleur externes pour augmenter leur température corporelle, ndlr).

Figure 2 Examen tomodensitométrique d’une tortue terrestre montrant la localisation du cœur (H), enclavé entre les deux lobes hépatiques (L). GB : vésicule biliaire (à droite) – Photo Lionel Schilliger.

  • Qu’est-ce que cette conformation change dans la physiologie cardiaque des tortues par rapport à celle des Mammifères ?

Cette conformation change beaucoup de choses. En effet, n’avoir qu’un ventricule cardiaque implique un mélange des sangs riches et pauvres en oxygène. Ce mélange est plus ou moins marqué selon les groupes de reptiles car il existe, à l’intérieur même de ce ventricule, des crêtes musculaires plus ou moins développées, permettant une séparation plus ou moins efficace des deux types de sang. Les tortues au sens large ne possèdent en général pas, ou peu, de crêtes musculaires intra-ventriculaires, mais certaines s’en démarquent, comme les tortues marines et notamment la tortue-luth (Dermochelys coriacea), dont la physiologie est adaptée à de longues plongées sub-aquatiques.

Il existe encore de très nombreuses espèces de reptiles dont l’anatomie et la physiologie cardiaques restent à décrire et qui peuvent nous réserver bien des surprises.

Le mélange des sangs donne la possibilité aux tortues de créer des shunts intra-cardiaques entre la circulation générale et la circulation pulmonaire. En apnée, en augmentant la pression dans la circulation pulmonaire, l’animal est alors capable de réorienter son sang vers les deux arcs aortiques, sans passer par la vascularisation pulmonaire. C’est ce que l’on appelle un shunt droite-gauche. Alors que ceci est délétère chez les Mammifères, ce mécanisme est mis à profit dans des circonstances particulières d’accès limité à l’oxygène : plongées, hibernation, insuffisance respiratoire… Ainsi, l’animal assure une meilleure irrigation de ses organes qui en ont le plus besoin (cœur, cerveau, foie, reins).

  • Qu’est-ce que cela change au niveau médical de s’occuper de ces animaux ?

En début de consultation, il est important de prendre en considération la température ambiante de la pièce dans laquelle se déroule l’examen cardio-vasculaire, donc la température corporelle du reptile. Si le reptile est trop froid, je le place dans une pièce chaude pour le réchauffer avant de l’examiner : il faut être à la température moyenne préférentielle du reptile pour mener à bien l’examen et obtenir des paramètres interprétables car, comme nous l’avons vu, le fonctionnement cardiaque varie avec la température.

Ensuite, la carapace ossifiée des tortues nous empêche d’utiliser un stéthoscope pour écouter les bruits cardiaques. J’utilise une sonde Doppler d’appareil de mesure de pression artérielle pour carnivores domestiques pour détecter les flux sanguins qui émanent du cœur afin de mesurer la fréquence cardiaque, connue espèce par espèce (en général 40 à 60 battements par minute à bonne température). L’examen clinique des tortues est donc assez fruste et frustrant puisqu’il n’y a pas de possibilité d’entendre d’éventuels souffles cardiaques, ni de faire une auscultation pulmonaire à cause des ostéodermes de la carapace qui constituent un obstacle acoustique majeur. Il faut donc utiliser des examens complémentaires pour mieux évaluer l’appareil cardio-vasculaire et les poumons et, de ce fait, quand on nous présente une tortue malade, on ne suspecte une atteinte cardiaque qu’en éliminant au fur et à mesure les autres hypothèses possibles.

Par ailleurs, cette difficulté à les examiner est accentuée par le fait que l’on dispose de très peu de littérature scientifique sur les affections cardiaques des tortues, ce qui peut nous gêner dans leur prise en charge, d’ordre thérapeutique par exemple.

  • Comment un propriétaire peut-il suspecter que sa tortue présente une maladie cardiaque ?

Les signes cliniques sont généralement des signes non spécifiques comme une intolérance à l’exercice (tortue aquatique qui ne nage plus par exemple), de l’anorexie, des œdèmes périphériques, de l’abattement…

 

Figure 3 Epanchement cœlomique (ascite) cardiogénique chez une trachémyde à tempes rouges (Trachemys scripta elegans) souffrant d’insuffisance cardiaque congestive – Photo L. Schilliger

 

  • Quelles sont les maladies que vous voyez le plus souvent chez les tortues ?

Ce sont souvent des découvertes d’autopsie, malheureusement, tant les cardiopathies sont difficiles à diagnostiquer chez ces reptiles. Cependant, on m’a déjà présenté des tortues pour des épanchements cœlomiques, c’est-à-dire des tortues présentant de l’ascite, conséquence possible d’une insuffisance cardiaque congestive.

  • Quels examens peut-on faire pour investiguer une hypothèse de maladie cardiaque ?

Pour diagnostiquer un œdème pulmonaire (assez rare en cas de cardiopathie chez un reptile, probablement du fait des shunts intra-cardiaques qu’ils peuvent mettre en place), il est possible de réaliser des examens radiographiques mais contrairement au chien ou au chat, il n’est pas possible de bien visualiser la silhouette cardiaque sur des clichés radiographiques de tortues : le cœur est camouflé par les autres organes et par les structures osseuses environnantes. Le meilleur moyen de le visualiser est de réaliser un examen échocardiographique, en posant la sonde à la base de son cou, du côté gauche ou du côté droit. Toutefois, l’accès est plus restreint que chez les chiens ou les chats, ce qui fait que les images sont moins nettes que dans ces espèces, ou même que chez les serpents.

Figure 4 Fenêtres échographiques permettant la visualisation du coeur chez les chéloniens. A : fenêtre cervico-brachiale chez une tortue grecque (Testudo graeca). B: aspect échographique du coeur. C: fenêtre trans-plastrale chez une tortue à carapace molle de Chine (Trionyx sinensis) D: aspect échographique du cœur. V : ventricule ; LA : atrium gauche ; RA : atrium droit ; AVV : valve atrioventriculaire ; LPA : artère pulmonaire gauche ; RPA : artère pulmonaire droite ; Lao : arc aotique gauche : Pe : épanchement péricardique. – Figure Lionel Schilliger In: Schilliger L, Girling S. Cardiology. In: Divers S, Stahl S, eds. Mader’s reptile and amphibian medicine and surgery. St Louis: Elsevier; 2019. p. 669-98

Afin d’investiguer des troubles du rythme cardiaque, il est possible de réaliser un électrocardiogramme (ECG). Cet examen peut amener à suspecter une cardiopathie. Les électrodes crâniales sont alors positionnées à la base du cou et les caudales sur les membres postérieurs.

  • Peut-on traiter les maladies cardiaques des tortues ?

Il existe malheureusement très peu de cas décrits de tortue ayant reçu un traitement dans le cadre d’une maladie cardiaque. Encore une fois, le manque de données sur le sujet nous gêne dans la prise en charge de ces animaux et le pronostic est souvent sombre lorsqu’une telle maladie est diagnostiquée. Cependant, si la maladie cardiaque est d’origine infectieuse (ex : endocardite bactérienne), un traitement antibiotique peut être utilisé avec de bons résultats.

 

 

 

Il reste donc beaucoup de choses à découvrir sur la prise en charge des maladies cardiaques des tortues et il est important de soutenir la recherche afin d’améliorer leur traitement !

 

Merci au Dr Schilliger pour cette interview.

Figure 5 Photo Valérie Chetboul