Fondation Un Coeur

Les particularités du cœur des rongeurs

La Fondation Un Cœur soutient le diagnostic et le traitement des affections cardiaques chez les animaux quelle que soit l’espèce ! Parlons aujourd’hui des particularités du cœur des rongeurs.

Camille Poissonnier est praticien hospitalier adjoint au sein de l’Unité de Cardiologie d’Alfort (UCA), en charge de la consultation de cardiologie des Nouveaux Animaux de Compagnie (lapin, furet, reptiles, oiseaux…). Elle va aujourd’hui nous en apprendre plus sur le cœur des rongeurs.

  • Pour commencer, qu’est-ce qu’un rongeur ?

Scientifiquement, les rongeurs sont des petits mammifères caractérisés par une unique paire d’incisives à croissance continue, souvent de petite taille. Ils se nourrissent de graines et de plantes. En consultation NAC, nous pouvons voir : cochon d’Inde (le plus souvent), hamster, chinchilla, rat, et plus rarement gerbille et souris. Attention, le lapin n’est pas un rongeur : il fait partie des lagomorphes.

Figure 1 Photo d’un cochon d’Inde au moment de son examen cardiologique – crédits Camille Poissonnier

  • Comment fonctionne le cœur d’un rongeur ?

Les rongeurs sont des Mammifères. Ils ont donc le même cœur que nous ou qu’un chien ou un chat. Leur cœur comporte quatre cavités, quatre valves cardiaques, une aorte, un tronc pulmonaire. Ce qui change surtout, c’est la taille du cœur, qui fait seulement quelques centimètres. Leur fréquence cardiaque est également très élevée, en moyenne entre 250 et 350 battements par minute.

  • Certaines espèces ont-elles tout de même des particularités cardiaques ?

Oui, il existe des petites différences d’une espèce à l’autre. Le rat et le hamster ont deux veines caves crâniales, qui sont les grosses veines qui ramènent le sang au cœur depuis la partie antérieure du corps. Cette particularité est assez rare chez les animaux. Les chiens et les chats n’en ont qu’une seule par exemple. Le cochon d’Inde possède de nombreuses coronaires alors que le chinchilla n’en a qu’une seule. Les chinchillas ont également la particularité de fréquemment présenter un souffle au cœur, pour environ un quart des individus. Dans 50% des cas néanmoins, ce souffle ne témoigne pas de la présence d’une maladie cardiaque grave et est qualifié « d’innocent ».

  • Qu’est-ce que cela change au niveau médical de s’occuper de si petits animaux ?

Comme la fréquence cardiaque est très élevée et le cœur tout petit, l’auscultation cardiaque est moins précise pour identifier et localiser les souffles cardiaques puisque le stéthoscope fait pratiquement la taille du cœur, même si l’on utilise des stéthoscopes plus petits, adaptés ! Par ailleurs, l’examen clinique est souvent assez frustre car ces animaux sont des proies, qui montrent donc peu de signes cliniques. Par exemple, un hamster qui boite peut présenter un caillot sanguin postérieur (thrombose). Les signes cliniques que l’on observe ne sont pas forcément spécifiques d’une affection cardiaque et apparaissent souvent tardivement, il est donc important d’y penser lorsque l’on examine un rongeur en consultation. De même, la fréquence respiratoire normale est aussi très élevée (80-100 mouvements par minute), ce qui fait que les dyspnées notamment débutantes (fréquemment observées lors de décompensation cardiaque) sont parfois difficiles à identifier.

De plus, il faut être très précautionneux lors de la manipulation des rongeurs car ce sont des animaux très sensibles au stress, surtout lorsqu’ils sont malades, et qui peuvent décompenser rapidement. Ils sont donc systématiquement manipulés avec beaucoup de douceur et de précaution. Lors des examens, nous faisons souvent de multiples pauses et les tenons toujours en douceur contre quelqu’un, pour limiter tout stress.

 

Figure 2 Manipulation d’un chinchilla pour un examen Doppler de son cœur – crédits Camille Poissonnier

  • Comment un propriétaire peut-il voir que son animal peut avoir une maladie cardiaque ?

Il faut être très attentif et rechercher des signes cliniques généraux : animal qui mange moins, qui répond moins aux stimulations du propriétaire mais aussi léthargie, perte de poids, toux (rarement) et boiterie. Ils peuvent aussi repérer des anomalies dans la respiration. Il arrive néanmoins de ne pas se rendre compte d’un problème cardiaque et de le découvrir fortuitement lors d’un examen de bonne santé ou pour un autre motif.

  • Quelles sont les maladies que vous voyez le plus souvent chez ces animaux ?

Il existe deux types d’affections : congénitales ou acquises. Les maladies congénitales sont des malformations cardiaques présentes dès la naissance, comme des communications entre ventricules ou oreillettes, notamment chez le chinchilla et le cochon d’Inde. D’autres seront très certainement décrites dans les années à venir. D’ailleurs, notre Unité va prochainement en décrire une pour la première fois. Parmi les anomalies acquises (associées à une dégénérescence cardiaque), on observe très fréquemment des anomalies valvulaires, en particulier des valves mitrale et aortique. Le cochon d’Inde présente par exemple très souvent des petites fuites de ces valves. Nous observons également dans certains cas des maladies du muscle cardiaque, en général des myocardiopathies dilatées car les myocardiopathies hypertrophiques (comme chez le chat) sont plus rarement décrites.

Nous observons aussi régulièrement des soucis liés à un mauvais régime alimentaire. Les carences en magnésium et des excès de calcium peuvent causer des minéralisations de la base de l’aorte chez le hamster et le rat et les carences en vitamine E peuvent entraîner des myocardiopathies chez la souris. Parfois, des myocardites peuvent faire suite à une intoxication ou à une septicémie. Chez la souris et surtout le hamster, on rencontre fréquemment des thrombo-embolies, parfois secondaire à une maladie du muscle. Enfin, le cochon d’Inde est le champion des épanchements péricardiques (accumulation de liquide dans le sac qui entoure le cœur, ndlr), avec ou sans expression clinique, et souvent sans maladie cardiaque sous-jacente. C’est assez mystérieux donc nous essayons de comprendre tout ça via une étude en cours.

  • Quels examens peut-on faire pour investiguer ces troubles ?

Il est possible de faire quasiment tous les examens que l’on effectue classiquement chez les chiens et les chats. Nous faisons donc des échocardiographies avec des sondes spécifiques à plus hautes fréquences pour que la machine puisse détecter les battements cardiaques et les structures qui sont plus petites, et des électrocardiogrammes (ECG) pour détecter les arythmies ou investiguer les fréquences cardiaques trop élevées ou trop basses… Cela se fait sur animal vigile mais les ECG peuvent être un peu délicats en pratique si l’animal est trop stressé avec les pinces que l’on utilise. On peut aussi mesurer la pression artérielle en théorie, mais il est parfois un peu difficile d’obtenir du matériel à la bonne taille. Les techniques les plus récentes d’échocardiographie 3D ne sont pas encore accessibles car il s’agit déjà de techniques en cours d’adaptation de la médecine humaine pour les carnivores domestiques, et la taille trop petite du cœur des rongeurs ne permet pas de les utiliser.

  • Peut-on traiter les maladies cardiaques des rongeurs ?

Il est en effet possible de traiter des rongeurs cardiaques. Il existe néanmoins plusieurs problématiques liées au traitement de ces animaux. Tout d’abord, il n’existe aucune AMM (autorisation de mise sur le marché, ndlr) spécifique en cardiologie pour les NAC et donc pour les rongeurs. Cela fait que les médicaments qu’on utilise sont prévus pour des carnivores domestiques et non pas pour des animaux de la taille des rongeurs. Il faut donc faire reconditionner des gélules ou des sirops adaptés. Ces derniers sont très utilisés par l’UCA et le service des Nouveaux Animaux de Compagnie de l’ENVA, car ils peuvent être aromatisés et donc bien appréciés des animaux. Sinon, les propriétaires peuvent également faire des dilutions à partir des comprimés.

Il existe une autre particularité chez les petits mammifères : il est souvent nécessaire d’utiliser des doses plus importantes de médicament par rapport au poids que chez les carnivores domestiques pour obtenir l’effet recherché. Les traitements sont bien tolérés et on obtient de bonnes réponses chez les rongeurs malades.

  • Où en est-on au niveau des connaissances en cardiologie chez ces animaux ?

Il existe bien entendu beaucoup moins de données en cardiologie vétérinaire chez les rongeurs par rapport aux carnivores domestiques. Il est souvent nécessaire d’extrapoler ce que l’on sait dans les autres espèces aux rongeurs, mais des études sortent régulièrement en cardiologie vétérinaire sur le sujet. A l’UCA, nous essayons de faire avancer ces connaissances, en récoltant des données cliniques utiles pour améliorer les soins des animaux atteints. Il s’agit encore des prémices dans ce domaine et c’est donc très intéressant de découvrir de nouvelles données pour mieux les soigner.

 

Figure 3 Le docteur Camille Poissonnier avec un de ses patients, un chinchilla – crédits Camille Poissonnier

Merci à la Fondation Un Cœur de soutenir la recherche

pour améliorer les soins prodigués à ces petits malades si particuliers !